20 minutes : 10 ans de gratuité
Premier collaborateur de 20 minutes, Vincent Antonioli s’est formé à la dure école commerciale de la radio privée. Autant dire qu’il était prêt à se fondre dans l’ADN d’une marque qui, s’adressant principalement aux jeunes lecteurs, n’a cessé d’étudier les évolutions technologiques et sociétales afin de les traduire dans de nouveaux formats publicitaires et canaux de diffusion. Résultat : en dix ans, ce qui était d’abord un journal s’est transformé en une plateforme d’information et de divertissement avant tout digitale. Quant au dogme de la gratuité, qui semblait une hérésie à la fin des années 90, il s’est imposé. Mais ce n’est pas l’heure de l’autosatisfaction, les défis de la décennie à venir seront tout aussi importants : l’arrivée de la génération Z, la centralisation commerciale au sein de Tamedia, la baisse des revenus publicitaires, et les adblockers. Pas de quoi effrayer pourtant Vincent Antonioli, qui sait qu’il peut s’appuyer sur des équipes motivées ayant intégré la culture du changement. « C’est une bonne part de notre succès ».
Vincent Antonioli, quel a été votre premier contact avec la marque 20 minutes ?
Je venais d’être engagé et j’allais rencontrer Marcel Kohler, le directeur de 20 Minuten, et Marco Gasser, le directeur des ventes à Zurich. Lorsque je suis arrivé dans les locaux, j’ai été surpris de voir que tous les collaborateurs étaient assis ensemble dans un grand open space. Tutoiement et tenue décontractée étaient de mise pour tout le monde ; l’ambiance de travail m’a immédiatement séduit. J’ai d’ailleurs vite adopté la maxime : « Travailler sérieusement, sans forcément se prendre au sérieux ». . Cet état d’esprit n’a pas changé depuis. Nous avons réussi à garder une culture d’entreprise très horizontale et une soif d’innovation qu’aucune contrainte humaine ou technique n’a jamais remis en cause.
Nous sommes en 2006, l’arrivée de 20 minutes en Suisse romande a profondément bouleversé le monde de la presse de l’époque. Edipresse, qui avait renoncé une joint-venture avec Tamedia, avait lancé son propre gratuit, Le Matin Bleu. Il s’en est suivi une guerre des tarifs publicitaires, qui a finalement provoqué la fusion des deux marques de presse pour pendulaires..
La présence de deux quotidiens gratuits sur un marché si petit a effectivement engendré une guerre des prix. Pour Tamedia, avec la marque lancée en 1999 en Suisse alémanique, les revenus romands étaient des ressources supplémentaires, alors que pour Edipresse il s’agissait d’une concurrence directe sur son marché. Nous connaissons tous la suite…
Mais on ne saurait résumer 20 minutes à un cheval de Troie pour conquérir un nouveau marché.
Non, cette marque titre était une véritable innovation pour le marché romand : en plus de la gratuité et de son positionnement autour des jeunes, il intégrait le commercial au sein de la rédaction. Cela ne signifie pas, comme on le craignait à l’époque, que le commercial allait imposer le contenu. Mais il est vrai qu’en cas de conflit, les besoins du marché sont ici prioritaires. Chez Tamedia, les différentes marques sont gérées comme des entreprises qui doivent atteindre les objectifs économiques fixés.
Et 20 minutes a immédiatement connu un succès fulgurant, avec 500 000 lecteurs…
Le pari d’amener des non lecteurs vers l’écrit a été en effet rapidement atteint, puisque le segment « gratuit » a fait exploser l’audience globale en Suisse romande. Mais il est vrai qu’à l’époque, nous étions d’abord un journal.
Si le public a bien accueilli votre marque, les rédactions des marques payantes, par contre, ont vite ostracisé les journalistes de la presse gratuite. Est-ce encore le cas ?
Chez 20 minutes, la seule star c’est la marque. Raison pour laquelle la majorité des articles ne sont pas signés, ce qui, en 1999 et même en 2006, semblait une hérésie. Aujourd’hui, les jeunes journalistes qui veulent travailler dans notre rédaction veulent avant tout faire partie d’un laboratoire médiatique, plutôt que d’entrer dans une rédaction où ils n’auront que peu de marge de manœuvre.
Côté commercial, vous avez également dû constamment innover. A quelle étape en êtes-vous ?
De la vente classique de format print ou online, nous sommes passés de 2008 à 2010 aux offres crossmédia où la publicité print ramenait sur le site. Ce storytelling a ensuite cédé la place à une approche transmédia, par laquelle l’expérience client s’est déclinée sur le print, le web, le mobile, l’événementiel, etc. Dans ce cas, notre objectif était de vendre des solutions sur mesure. Aujourd’hui, nous privilégions « l’inbound marketing » au travers, par exemple, de contenus sponsorisés.
On dit que le mobile est une opportunité en terme de distribution, mais qu’il ramène moins de revenus publicitaires. Pouvez-vous le confirmer ?
Il y a encore trois ans, là où l’on gagnait CHF 100 sur le print, on ne recevait que CHF 10 avec le web et CHF 1 via le mobile. Le transfert de budget, qui est une réalité pour tous les médias, ne se fait donc que progressivement. Mais, pour autant, ce serait absurde de délaisser ce support. Il s’agit d’une tendance de fond et 20 minutes est depuis 2013 résolument « mobile first ».
Sans parler du problème des formats. Vous avez fait des tests et vous vous êtes rendu compte que le public juge les « footers » et les « pop-up » très intrusifs. Ce qui vous a amené à réduire leur nombre. Quel est le bon équilibre ?
La réponse à cette question passe par une révolution de la publicité sur mobile. Tout reste à créer. Le « content marketing » est une piste, mais je suis sûr que la bonne solution sera tout autre. L’avenir nous le dira !
Après le mobile, les spécialistes en digital ne jurent que par la vidéo. Mais là aussi, les « pré-rolls » sont mal acceptés.
C’est peut-être vrai sur les sites payants . Mais 20 minutes est et restera une plateforme gratuite. Et comme pour la publicité mobile, les pubs avant les vidéos vont devoir s’éloigner du traditionnel spot TV si l’on veut obtenir des résultats probants pour l’annonceur.
Les éditeurs commencent à réagir aux adblockers par la règle du « pas de pub, pas de contenu ». Est-ce la bonne approche ?
Jusqu’où peut-on fermer avant de tout perdre ? Là est toute la question. Notre réponse est de proposer de l’infomercial : un plus pour les lecteurs et les annonceurs.
Moins de pub print et mobile, les revenus publicitaires de 20 minutes sont-ils à la baisse ?
En 2015, pour la 2e année consécutive, nous avons pu compenser la perte de la publicité print par celle du digital. Nous devons nous préparer à ne plus générer autant de revenus que dans la première décennie. Il en va ainsi pour tous les médias, raison de plus pour anticiper ce mouvement. La bonne nouvelle, c’est que nous sommes capables de nous réinventer.
Le programmatique peut-il être une solution ?
Oui, pour autant qu’on l’associe avec du content marketing. Du contextuel pour du « push » et du contenu pour le « pull ».
Dans ce contexte, on comprend mieux l’annonce de la centralisation de la commercialisation de tous les titres de Tamedia, 20 minutes y compris, au sein d’une seule et même structure, dirigée par Marcel Kohler. Allez-vous pouvoir rester une start-up ?
On n’est plus une start-up lorsque l’on gère 350 collaborateurs. Ce qui ne signifie pas pour autant que l’on ne soit plus capable de rester innovant même au sein du groupe. La centralisation de la commercialisation concerne avant tout des aspects administratifs, logistiques et techniques permettant également la création d’une plateforme programmatique interne. Les marques vont rester indépendantes dans la manière de commercialiser leur inventaire premium.
Depuis sa création, 20 minutes est un laboratoire média. Vous venez de lancer une nouvelle application comprenant quatre espaces « Classic », « Social », « Play », « Personal » et, le 8 mars, vous avez repris cette segmentation dans votre support papier. Quelle est la suite de votre agenda ?
C’est un fait indéniable que nos audiences se déplacent du print vers le mobile. La 4G et la généralisation du wifi dans les transports publics ont amplifié ce report. Désormais, il faut passer à l’étape de la personnalisation du contenu. C’est ce que nous avons entamé avec la face « Personal » de notre application.
Quel sera notre prochain pas ? Ira-t-on un jour jusqu’à la fin de la version papier de 20 minutes ? Rien n’est encore planifié, mais rien n’est totalement exclu. C’est le marché lecteur qui décidera.
Justement, ces jeunes lecteurs changent. Vous avez commencé par vous adresser à la génération Y et aujourd’hui vous devez composer avec la Z. Qu’est-ce qui change ?
Cette nouvelle génération n’est plus seulement à la recherche d’actualités. Elle trouve suffisamment d’information sur les réseaux sociaux. Elle est prête à se fidéliser à une marque média pour autant que celle-ci pense d’abord à sa personne et lui propose du contenu susceptible de l’intéresser. Les « Z » veulent des news sélectionnées et prêtes à être partagées. On est bien loin des jeunes qui voulaient des informations rapides à lire. En résumé, on est passé des flux RSS à Snapchat ou Tinder.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez transformé Tillate, votre plateforme photo, en un espace de contenu dédié à cette génération et introduit la marque Friday en Suisse romande ?
Les journaux gratuits ont été créé pour amener les jeunes vers la lecture des quotidiens. La compréhension des attentes de cette cible et la proposition de supports adaptés restent au cœur de notre mission. C’est la raison de notre succès… n’en déplaise à certains.
[ASIDE]
20 minutes en quelques dates et chiffres
1999 : création de 20 minuten
2006 : lancement de 20 minutes
2010 : web first
2011 : offre de vidéo avec Mediaprofile
2011 : lancement de 20 minuti
2013 : mobile first
Audience print 20 minuten : 1 473 000 lecteurs
Audience print 20 minutes : 536 000 lecteurs
(Mach Basic 2015-2)
Audience site-mobile 20 minuten : 11’341’191 visites mensuelles
Audience application 20 minuten : 56’594’647 visites mensuelles
Audience site-mobile 20 minutes : 3’519’422 visites mensuelles
Audience application 20 minutes : 18’243’458 visites mensuelles